mercredi 25 avril 2012


« Quand je serai grand… je serai policier ! »
ou la littérature policière pour enfants

             
            La grande constatation  des cours de récré est que beaucoup d’enfants veulent devenir policiers. Influencés par les films, les dessins animés (Inspecteur Gadget), les jeux (Cluedo) et bien sûr les livres, nos chères petites têtes blondes rêvent d’être des héros et mettre les méchants hors d’état de nuire. Menottes, revolver et compagnie, voilà un attirail qui fait briller leurs yeux. De nos jours, on remarque de plus en plus que l’enfant aime être au cœur de l’histoire, se sentir indispensable au dénouement de l’intrigue, et tout cela,  le monde de  l’édition l’a bien compris. Désormais, la plupart des grandes maisons d’édition ont une ou plusieurs collections dédiées au policier, et certaines réalisent dans ce domaine la majeure partie de leur activité comme Mini Syros ou encore Rageot :




        Le policier : une lecture pour l’enfance ? Bien sûr que non me direz-vous… Et pourtant, le genre policier en littérature de jeunesse existe bel et bien, et ce n’est pas pour déplaire à nos détectives en herbe ! Certaines personnes pensent qu’introduire le genre policier auprès de jeunes enfants est une mauvaise idée. Il est vrai que le « polar » revêt souvent des connotations négatives, liées à ses choix stylistiques, à une langue jugée trop familière ou à son goût du glauque et du morbide. Ce genre apparaît alors trop violent pour des jeunes lecteurs. Cependant, le genre policier concerne également l'enfance car, au-delà de stéréotypes de surface, il atteste un authentique travail artistique qui crée un changement de cadre et éloigne les événements narrés de la réalité. En effet, le fait divers relaté dans la presse n'a pas le même impact qu'un événement similaire mis en scène dans un roman. Le traitement de la violence dans la littérature policière pour enfants est donc spécifique : il s’agit de ménager la sensibilité des enfants tout en conservant le sens du frisson.
 
Dans Les Doigts rouges de Marc Villard par exemple (l'un des romans policiers de la liste de référence des programmes du cycle 3 dans le cadre du CRPE), le méfait est a priori présenté comme un crime sordide mais il s’agit en réalité  d’un fait banal. Le protagoniste, Ricky, soupçonne son grand frère d’avoir commis un crime horrible en voyant ses doigts couverts de sang. Mais les doigts de son frère ne sont en fait que tâchés par de la peinture rouge qui a servi à préparer le cadeau d’anniversaire (un vélo) du protagoniste.

 


 


Dans Qui a tué Minou-Bonbon ? de Joseph Périgot, un vieux matou a été lâchement assassiné ; mais Nico va mener l’enquête pour que le meurtre de son ami ne reste pas impuni. Malgré le genre du livre, cette histoire présente de la douceur grâce aux connotations sucrées du nom du chat notamment. Le récit se focalise sur la recherche du coupable sans trop s’attarder sur la victime.
           
           
  Ces deux exemples permettent de voir que  la littérature de jeunesse « recrée » le genre policier en l’adaptant aux enfants. En effet, c’est en mobilisant des traits spécifiques, comme la douceur et la sucrerie, les victimes animales, les enfants détectives et les faux méfaits que la littérature de jeunesse parvient à relever le pari de proposer aux enfants un sujet qui semble, à la base, destiné aux plus grands.
           


            De plus, la lecture du roman policier se présente comme une leçon pour « grandir ». Ainsi, comme les contes de fée, le policier oblige le lecteur à attendre, apprendre à patienter pour ne pas céder aux principes de l’immédiateté de la lecture afin de mieux s’inscrire dans la réalité du texte. Le jeune lecteur peut également s’identifier au héros de l’histoire qui ne cède pas à ses premières impressions. On peut ajouter que le roman policier pour enfants ne craint pas d'utiliser l'humour ainsi que l'ironie qui est  une véritable leçon de distanciation pour le lecteur. Enfin, ce genre de livres permet à l’enfant de grandir car il rappelle souvent les romans d’initiation qui aident le lecteur par projection dans sa quête d’identité. Quant aux énigmes du roman policier, elles obligent l’enfant à déduire les choses et à faire des raisonnements hypothétiques.

Dans Le Gang des petits-suisses de Gérard Moncomble, des habitants  se demandent qui a bien pu voler tous les petits-suisses du quartier. L'enquête est alors confiée à Félix File Filou. Et nous aussi, nous cherchons avec lui. Il s’agit d’un livre contenant du suspens et de l'humour qui plaît aux enfants dès 6 ou 7 ans. Le nom du détective, composé d’un jeu de mots, est plutôt attachant et drôle, et cela montre que le méfait n’a été réalisé que par des petits « filous » et non de véritables criminels.


 



Dans Cœur de pierre de Philippe Borin, les jeunes lecteurs sont témoins d’un vrai crime ce qui rend le livre plus noir. L’originalité du récit réside dans le fait que le narrateur est l’arme qui a servi au crime : une pierre. Cette pierre est ensuite ramassée par des enfants qui aideront à la résolution de l’enquête.
         







Enfin, intéressons-nous plus particulièrement à l’ouvrage Le Professeur a disparu de Jean-Pilippe Arrou-Vignod. Ce roman, paru pour la première fois en 1989, raconte l’histoire de trois collégiens qui, après avoir remporté un concours, partent pour  un séjour à Venise. Accompagnés de leur professeur M. Coruscant, ils prennent le train pour l’Italie. Mais en pleine nuit, le professeur disparaît mystérieusement…Les trois jeunes héros se lancent à la poursuite des ravisseurs. Commence alors une course poursuite pleine de rebondissements et de faux semblants qui les conduit de la découverte d’un message codé à celle d’un trafic d’œuvre d’art. Cet ouvrage est tout à fait approprié à notre sujet de par l’originalité de l’écriture du roman « à trois voies narratives » qui lui donne un style fluide et agréable. De plus, l’humour omniprésent rend le récit dynamique. Ainsi, ce roman permet aux élèves de cycle 3 d’entrer dans le genre policier à travers un récit d’aventure. Cet ouvrage est le premier tome d’une série d’aventures. Cela permet de donner aux enfants le goût de la lecture en série.
             Le Professeur a disparu s’inscrit dans un des sous-genres du roman policier : le roman d’aventure à intrigue policière. L’intrigue s’organise autour de la découverte d’un message secret laissé dans le train que les trois héros vont tenter de déchiffrer. La spécificité de ce genre policier est que le jeune lecteur se retrouve dans la peau de l’enquêteur et donc se plaît à jouer le rôle du détective-amateur car ‘identifie aisément aux personnages. Ce qui surprend c’est que l’auteur a construit son récit sur un faux méfait (l’enlèvement de M. Coruscant) dont le lecteur reste dupe jusqu’au dévoilement final. L’autre spécificité de ce genre est qu’il a recours à des scènes-types (filature). Ici, les enfants se retrouvent seuls dans l’univers de Venise, ville mystérieuse et labyrinthique où l’on peut aisément se perdre. L’ambiance autour du carnaval, des bals masqués renforce le côté énigmatique et mystérieux. Le recours au suspense et le rythme de l’enquête peut donner au jeune lecteur le goût du mystère.
            De plus, la « narration puzzle » sert à l’avancement de l’enquête. En effet, les personnages deviennent à tour de rôle des narrateurs-personnages suivants les chapitres. On parle de récits successifs car l’on découvre chaque étape du récit à travers leur regard respectif : sous la forme d’une lettre pour Mathilde, d’un journal de bord pour Rémi et d’un journal intime pour Pierre-Paul. Cela donne une impression de puzzle au récit car les avancés de l’enquête se précisent grâce à cette variation des points de vue qui apportent un surplus d’information. La difficulté pour le jeune lecteur est d’épouser provisoirement le point de vue de tel ou tel personnage puis de concilier les points de vue.
            Enfin, les personnages, aux traits de personnalité presque antithétiques sont quelque peu stéréotypés puisque le jeune lecteur découvre Pierre-Paul, le premier de la classe, Rémi, le cancre, et enfin Mathilde, une fille discrète qui vient temporiser les relations du groupe. Ils n’en sont pas moins attachants et drôles évoluant au sein d’un trio improbable. On assiste finalement à une véritable évolution des personnages et de leurs relations car chacun ressort grandi de cette aventure.

                Ainsi, le « polar » pour enfants peut tout aussi bien combler les petits comme les grands amateurs d’enquêtes policières : retour en enfance aux yeux des adultes et véritable leçon pour grandir pour les enfants, cette littérature semble décidément incontournable. 


                                                                                                                                          J.LG

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